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ACLIS 74

L'analyse de la pratique en institution

L’analyse de la pratique, qu’est-ce que c’est ?[1]

 

Les groupes d’analyse de la pratique se sont multipliés cette dernière décennie, et cela dans divers champs du secteur social : médico-social, formation, enseignement, insertion ; ils sont pluriels, s’étayant sur des référents théoriques et des cadres méthodologiques diversifiés. En ce sens, cette présentation de l’analyse de la pratique ne saurait être une modélisation paradigmatique : elle n’engage que moi, tout en se référant à un courant, à une praxis, à savoir la psychanalyse auprès des petits groupes.

L’analyse des pratiques (que je nommerai génériquement AP par commodité)  est une clinique du lien social. Elle porte sur la nature originelle des objets que les professionnels choisissent de mettre en travail, ceci en relation avec des finalités poursuivies, passant par le questionnement sur le sens pris dans la diversité des demandes sociales, dans des contextes divers. Les acteurs de l’AP se revendiquent majoritairement d’une clinique, et leur travail se fonde sur une analyse de situations socioprofessionnelles singulières.

L’analyse de la pratique autorise ses participants, dès lors  qu’ils ont levé quelques résistances, à amorcer une réflexion sur ce qu’ils sont, et sur ce qu’ils font. Par cette assertion, nous ne sommes pas loin de la philosophie. Analyser sa pratique, c’est essayer de répondre à une interrogation subjective sur sa relation à l’autre, dans l’espace socioprofessionnel. Par cette intervention présente, je vais tenter d’expliciter ma conception personnelle de cet énigmatique travail d’analyse, dit de la pratique, nommé parfois par d’autres signifiants : supervision, régulation, groupes de parole, groupes thérapeutiques, ou encore intervention socio-analytique (analyse institutionnelle en action).

Ces divers concepts représentent des dispositifs différents qui parfois s’entremêlent, se confondent, et cela, le plus souvent dans une confusion totale, et force nous est de constater, qu’entre les mots et les choses, ça ne « colle » pas toujours. De ce fait, pour amorcer ce travail sur de bonnes bases, un peu de clarification afin de mieux appréhender ce champ d’investigation s’avère nécessaire, c'est-à-dire une confrontation justement entre les mots, et les choses en question… vous verrez que ce ne sera pas une perte de temps.

L’AP concerne l’agir professionnel engagé dans la relation avec les personnes accueillies. Le but visé est l’accès à une conscientisation individuelle et/ou collective de cet agir professionnel, il s’agit d’une déconstruction du savoir expérientiel – ce savoir inédit et insu – en le verbalisant, en le confrontant aux divers regards du groupe au travail.

Parlons de supervision. Ce n’est pas un mot très adéquat, à mon sens, car le signifiant super induit une posture imaginaire de supériorité, que l’intervenant que je suis ne saurait adopter, car ce serait faux, il n’y a pas de hiérarchie entre nous, la seule différence – qui est certes de taille - est que j’occupe une place particulière, et j’y reviendrai. Ainsi, il s’agirait beaucoup plus d’une super audition, mais ce mot n’étant pas très harmonieux, nous garderons le terme de supervision pour des raisons historiques. Quoiqu’il en soit, il s’agit d’une écoute active qui autorise la circulation d’une parole vraie, dans un climat d’accueil bienveillant de cette parole singulière de chacun. Ce qui la distingue de l’AP, c’est que l’objet mis en travail est l’équipe de professionnels, son vécu, dans les relations interpersonnelles entre ses membres.

Cependant, et par commodité pour les institutions, les deux axes d’intervention sont traités le plus souvent ensemble et désignés par cette appellation générique un peu « fourre-tout », d’analyse de la pratique. Il s’agit dans les deux types d’intervention de faciliter la circulation de la parole, et que cette même parole rende le travail d’équipe plus facile, gardant de ce fait le professionnel en « bon état », car souvent mis à mal par les vicissitudes de l’acte éducatif, et confronté en permanence à la misère du monde. Le mal-être contemporain sur les lieux du travail social est tel,  que la Médecine du Travail ouvre de plus en plus des lieux d’écoute de cette souffrance. En quelque sorte, l’intervenant en AP serait une sorte d’ouvrier d’entretien de l’outil de travail, c'est-à-dire de la « machine à penser » des personnes, dans ces professions dites de la relation. Les professionnels vivent des situations de plus en plus difficiles, en rapport avec ce malaise généralisé de la civilisation, cette vision crépusculaire du devenir humain, et ce pessimisme ambiant qui justifie tous les immobilismes reproducteurs des positions. Les difficultés du travail, les contradictions souvent (mal) vécues entre l’idéal professionnel et le réel pratique, le manque de moyens qui paralyse et inhibe les meilleurs projets, la souffrance liée au contexte néolibéral, les conflits de rôle, les relations parfois difficiles avec les collègues, l’usure du quotidien, la routine, induisant le plus souvent une souffrance psychique, facteurs déterminants d’un « mal-être » au travail, d’autant plus difficile que cela n’est pas verbalisé, faute d’un lieu et d’un moment pour le faire. L’AP répond à ce besoin des équipes.

Au cours des sessions, nous soumettrons au questionnement nos implications personnelles, nos préjugés, nos représentations, nos affects, nos fantasmes, nos blocages, nos fixations, nos projections, dans cette confrontation à l’étrangeté de l’autre, le sujet. En aparté, vous remarquerez que je ne cède en rien sur les mots, me refusant à parler d’usagers… comme c’est devenu l’usage depuis 2007, et sans doute bien commode d’avoir affaire à des objets usagés qu’à des sujets désirants ! Il ne s’agit pas que d’un jeu de mots ! Comme l’énonçait déjà Freud, il ne faut rien céder sur les mots.

L’AP, c’est l’analyse d’expériences professionnelles actuelles, passées, ou en cours, présentées par leurs acteurs, dans le cadre d’un groupe restreint de personnes qui exercent la même profession. Je vais vous énoncer et commenter quelques principes fondateurs d’une authentique analyse de la pratique, des choix qui fondent mon éthique de l’intervention sociale.

-          Il faut identifier en premier lieu la demande des professionnels qui veulent y participer. Je pense que toute demande est unique et spécifique, elle doit être analysée, décryptée, dans sa complexité pluridimensionnelle. Alors, se pose la question des commanditaires, qui est demandeur ? La participation sera-t-elle négociée, suscitée, ou imposée ? Le dispositif d’AP correspond t’il à une demande réelle de l’équipe ? Il est nécessaire de répondre à ce questionnement, et, par ce préalable, approfondir et affiner la demande au cours d’instants préliminaires, dès les premières séances. Cet approfondissement sera la première tâche du groupe d’AP en genèse, et il ne faut pas en faire l’économie, cette prise de contact est déterminante pour le reste du travail, « ça nous met sur de bons rails ».

-          L’extériorité relative du lieu de réunion, et avant toutes choses, couper les téléphones, être à l’abri d’intrusions extérieures, s’assurer qu’il n’y aura pas de parasitages et d’interférences professionnelles dans le dispositif d’AP, qui est un temps social appartenant au salarié qui y participe. Notons qu’un des objectifs du travail est la mise en distance, de ce fait, la configuration spatiale du lieu est importante, elle devra être pensée.

-          Il s’agit d’un travail d’endurance : 10 séances mensuelles de 2 heures  pendant un an ou deux est le plus courant, quatre ans me semblant être une bonne limite raisonnable, si l’on veut éviter le glissement plus ou moins inévitable dans la fusion imaginaire… c'est-à-dire, quand ça « ronronne » …. Mais il y a des séparations difficiles!

-          L’extériorité de l’intervenant est un incontournable. De ce fait, J’occupe une place vide, je suis en posture d’extériorité, je ne fais pas partie de votre équipe, de ce fait, cette particularité  (nous) fait échapper à une représentation hiérarchique fantasmée de ma place. Celle-ci est nécessairement décalée, et je dois être imaginairement affranchi d’une dépendance institutionnelle, même si, au bout du compte, c’est votre institution qui me paye. Dans l’instance clinique proposé comme méthode, j’y ai un rôle hybride, étant à la fois animateur et analyste, à partir d’une référence à la psychanalyse et une éthique du sujet (nous y reviendrons, car c’est un champ plutôt panoramique), mais surtout en gardant présent dans ma tête les enseignements de nombreuses années de pratique d’éducateur, et la réflexion que j’ai pu tirer de cet acte éducatif. Je ne suis pas là non plus pour distribuer des « bons points », pour vous réassurer que vous êtes de bons professionnels. Je suis surtout là comme garant de la circulation d’une parole vraie entre vous, que chacun puisse prendre la parole, parler en son nom propre (et pour cela, dire « je »), afin d’essayer de comprendre, ce qui signifie étymologiquement « prendre ensemble ». Je suis le garant d’un cadre de référence.

-          La confidentialité des échanges est au centre de l’éthique, les participants peuvent avoir une totale confiance, nos propos ne dépasseront pas les frontières de cet espace parlé, cette confiance implicite lèvera certaines inhibitions, et facilitera l’énonciation du dire, sans autocensure.

-          Un petit point supplémentaire concernant la posture de l’intervenant en AP : par-delà le critère obligatoire d’extériorité, il me faut clarifier mon positionnement dans ce travail avec vous : Je ne suis pas un expert tout puissant qui dispense sa leçon, ni un « je sais tout sur tout », aux visions totalisantes et univoques. De la place que je vais occuper près de vous - car j’ai accepté de l’occuper- et de ce fait, vous allez me supposer un savoir que j’aurais sur votre pratique, je vais devoir au début du travail accepter ce rôle, celui du sujet supposé savoir (J.Lacan). Mon intention sera de vous accompagner  dans votre questionnement et dans l’élaboration des questions que vous vous posez sur vos pratiques éducatives. Il s’agit pour moi de travailler avec le singulier, l’inédit de votre vécu, et d’assimiler ce vécu, le transformer en un savoir nouveau, accessible à tout le groupe. j’essaierai de faciliter l’expression de la parole personnelle de chacun, et je devrais de plus aider le groupe à opérer un retournement des modalités habituelles de production de ce savoir : un savoir expérientiel, inédit, insu, unique, et instituant. Vous, professionnels de terrain, vous êtes les experts de votre propre expérience, excusez cette redondance, mais c’est quelque chose d’important qu’il faut comprendre, cette histoire de savoir nouveau et insu qui, d’un coup, émergerait...

 

Enfin, cela ne signifie pas que je serai dans une attitude de neutralité bienveillante, je m’autorise à donner mon avis, à prendre part, être partie « prenante », car je suis pris, immergé, dans une implication, certes  distanciée, mais je me sens concerné, alors si ponctuellement, avec la modestie du tâtonnement, je peux vous aider à « faire bouger de petits bouts de réel », cet effet-sujet serait en quelque sorte la plus value sociale de notre travail.

 Avant d’évoquer le contenu des futures séances d’AP, et la méthodologie proposée, permettez-moi d’évoquer le Dr Lacan, lequel, en couverture à ses Ecrits de 1966, incitait ses lecteurs à « y mettre les mains », à « y mettre du sien », c’est ce que l’on est en droit de demander non seulement à l’intervenant, et cette recommandation doit à mon sens s’étendre à tous les participants, il est nécessaire d’être content d’être là, de lever ses propres résistances, d’être volontaire, et votre participation active ne saurait vous être extorquée. Le travail d’analyse induit par les sessions d’AP demande un certain effort, fait d’honnêteté, d’empathie, d’engagement, d’écoute active, de distanciation, de curiosité, voire d’inventivité. Il ne s’agit pas d’une effectuation docile de consignes de travail, il s’agit d’une activité qui mobilise toute la personne-sujet. C’est une méthode active qui sollicite les acteurs, sujets de leur histoire et de leur vécu professionnel.

Pour paraphraser le sociologue Saul Karsz, du dispositif analytique émerge un savoir nouveau, et ce savoir purge la pratique, comme on purge ses radiateurs, pour en faire partir les bulles d’air, qui rendent la circulation difficile.

 

L’instance clinique sera la méthode  proposée, elle est un outil qui fonctionne, mis à l’épreuve par mes prédécesseurs, cela me convient, je l’ai moi même vécu d’une autre place, celle que vous occupez aujourd’hui. Il s’agit d’un bricolage inspiré de mes sources, et derrière les modalités de cet espace de parole en trois temps, il y a des praticiens comme Freud, Lacan, Bion, Balint, Aichhorn, Oury, Kaes, et plus particulièrement Joseph  Rouzel, ce dernier - qui est mon contemporain -  ayant théorisé, inauguré, et mis en pratique, avec beaucoup de talent, des pratiques novatrices en AP, inspirées par la psychanalyse. Je m’inscris dans cette filiation, j’en ai hérité, et je ressens comme une dette à l’égard de ces précurseurs.  Dès le début du travail, j’énoncerai les règles qui ouvrent cet espace-temps singulier, l’instance clinique, qui est  limitée  par un cadre de référence, avec des personnes déterminées, dans un lieu distancié des parasitages extérieurs. L’espace analytique est de l’ordre de l’intime groupal, et ces critères d’exigence, vous le verrez,  permettent la circulation d’une vraie parole, celle du parlêtre, et non du paraître.

 

De ce fait, il serait vain et inutile de vouloir transformer l’AP en  une bataille d’egos exhibitionnistes, tenter de  jouer un jeu de rôle personnel dans le registre de l’imaginaire, ceci afin d’être perçu comme un bon professionnel, ce n’est vraiment pas notre objet, et du coup le sujet se retrouverait… « hors-sujet ».

Pendant les sessions, vous m’entendrez souvent parler de transfert, c’est que je viens ici pour « ça », m’entretenir avec vous de ce transfert, car dans un équipement tel que le vôtre, c’est transfert à tous les étages, vous le savez bien ! S’entretenir sur ce transfert qui use, qui dérange, qui bouscule, cela renvoie à ce travail d’ouvrier d’entretien qu’est celui de l’analyste, en situation d’AP. Parlons-en un peu de ce transfert insolite, dissipons les équivoques : les concepts que j’utiliserai avec vous seront toujours explicités, telle est mon éthique des mots. Il faut se les approprier. Ils sont là pour nous rassembler, et non pour créer des frontières culturelles.

Si le transfert est un concept freudien, il n’est pas réservé à la psychanalyse, ni aux psychanalystes, même si le transfert en situation analytique est très particulier. En premier lieu, rappelons-nous que tout lien social fait transfert. Le transfert, c’est de l’amour qui s’adresse au savoir énonçait le Dr Lacan, et il s’agit d’un savoir supposé à l’Autre, le sujet supposé savoir. Si nous évoquons le transfert du jeune vers son éducateur, c’est parce qu’il vit sur l’illusion imaginaire que ce même éducateur possède la clé de sa vie, l’objet perdu, qu’il sait ce qui est « bon pour lui », lui faisant souvent endosser au passage, la figure d’un père ou d’une mère symboliques. L’éducateur est à une place singulière, sujet supposé savoir, objet du transfert, réceptacle des affects, à l’interface de la pulsion et du désir, dans le meilleur des cas - et il y en a -  c’est un passeur d’avenir.

 Il ne faut pas briser trop vite cette illusion du transfert, il faut qu’il s’installe et l’utiliser, le sujet aura le loisir de s’en débarrasser plus tard, par le traitement de ce même transfert. Avec l’aide de l’éducateur, Le jeune devra alors « transférer le transfert », il pourra par la suite investir d’autres objets à l’extérieur, il se socialisera.

En outre, sera convoquée chez l’enfant ou le jeune, et en même temps détruite, l’illusion qu’il allait pouvoir retrouver dans l’institution la mère idéale, autrefois perdue.

-          Il n’y a pas de modélisations en AP, elle est plurielle, car elle s’origine de courants de pensée divers, de référents théoriques et de modèles d’analyse différents. S’il s’agit de comprendre l’humain, nous savons qu’il est complexe, problématique, car à la fois parlant, pensant, et désirant, divisé et soumis aux pulsions, à la jouissance et au manque à être. A l’articulation des trois registres, le neurobiologique, le psychologique, et le sociologique, se trouve le trou noir de nos connaissances, qu’aucune méthodologie actuelle, aucun modèle, aucun concept, ne permet de saisir dans sa globalité. Il faut se garder des tentations totalisantes induites par le scientisme dominant – le discours du Maître - de cette époque. Ainsi, l’approche qui me semble la plus raisonnable (et  la plus modeste) est transdisciplinaire, avec en plus,  pour ce qui me concerne, une primauté accordée à la psychanalyse, à la prise en compte du sujet de l’inconscient.

Le champ psychanalytique me convient bien, déjà d’un point de vue éthique, c’est-à-dire la promotion du concept de sujet de l’inconscient, c’est quelque chose que j’ai recherché toute ma vie, et que j’ai réellement rencontré tardivement, au début de ce millénaire. L’AP n’est pas normée ni formatée, c’est heureux, car il y a encore beaucoup à inventer. Elle est, à travers la conception que je soutiens, une praxis qui n’est pas fermée, car sans cesse soumise à la révision et au questionnement. Il s’agit en outre d’un espace de liberté, d’un sas de « décompression » des tensions, souvent apprécié, par les professionnels du social. L’AP est une praxis, c’est à dire une pratique théorique du sujet (Althusser) qui interroge le réel, et parfois parvient à le modifier : mise en confrontation de concepts théoriques avec la clinique, processus itératif entre théorie et pratique, l’une enrichissant l’autre, et vice versa.

 

Avant de commencer ce travail d’AP, je vais vous énoncer quelques règles d’or qui fonderont nos futures séances :

 

-          Ici, chacun est le sujet de son histoire et de son expérience, chacun est invité à s’exprimer en disant « je », c’est-à-dire en soutenant sa parole propre, en parlant à cette première personne du singulier. L’AP telle que je la conçois se fonde sur la psychanalyse, il ne s’agit donc pas d’une pseudo objectivation à prétention scientifique, mais d’une subjectivation ; et cela, dans la mesure où c’est la parole du sujet qui est engagée, une parole instituante, pas celle d’un individu formaté, dilué dans un organigramme et dans l’institué.

-          Le groupe au travail se doit d’adopter une posture psychique faite d’accueil bienveillant de la parole singulière de l’autre. J’évoquerai un climat fait d’une écoute accueillante. La parole en cours ne devra en aucun cas être perturbée ou interrompue par d’autres expressions langagières. Chacun devra pouvoir aller au bout de sa parole, sans crainte du jugement de l’Autre.

Je vous propose donc un espace analytique se déclinant  en trois temps sociaux :

 

-          Une phase de présentation d’une situation, par laquelle quelqu’un - qui n’est pas quelconque- nous raconte une histoire vraie, vécue sur le lieu professionnel. C’est la phase phénoménologique.

-          Une phase de réactions individuelles par rapport au dit précédent, dite phase réactive, par laquelle chacun s’exprime à tour de rôle.

-          Une phase de retour du collectif, cela ressemble d’un certain point de vue à une conversation. Il s’agit d’une ponctuation des temps précédents, à une déconstruction, une « mise à plat »,  à une mise en perspective par laquelle le sujet redevient acteur.

C’est un moment interactif et jubilatoire, ce retour au groupe est souvent apaisant. C’est une phase d’interprétation analytique.

Je n’interviendrai pas au cours des deux premiers temps, ce sont mes règles d’abstinence – et il y en a d’autres -  car je dois, moi aussi, me confronter à cette frustration, ce qui est le contraire d’une posture toute puissante, vous en conviendrez ! Je suis présent, attentif, j’écoute, j’écris, j’observe… je suis muet, sauf éventuellement pour vous rappeler la règle, si besoin. Je suis le garant des modalités de ce travail.

 

 La première phase, c’est une personne du groupe qui accepte de répondre à mon invite : « Qui veut nous raconter une histoire ? Une histoire vraie, vécue sur le terrain professionnel, et qui a laissé des traces ». Je précise qu’il ne s’agit pas à ce stade, de rationnaliser plus que cela, je m’intéresserai plus aux signifiants, c'est-à-dire comment la personne se fait le narrateur de son histoire, comment ils s’articulent et représentent – ou non - le sujet. Mon intérêt se laissera volontiers captiver par la forme langagière, c’est à dire la manière de raconter, d’évoquer ses affects, plutôt qu’à l’élucidation d’une situation, du moins dans ce premier temps. Ce qui nous intéressera, c’est le ressenti subjectif, les émotions, les frustrations, la tristesse, les affects, la peur ou la colère; ce qui n’empêchera pas de traiter ensuite le contexte psychosocial et tenter d’élucider une situation dans laquelle est plongé le sujet… avec un autre sujet, pour le meilleur et parfois le pire.

Dans la deuxième phase, nous allons vivre un moment de retours individuels, chacun et à tour de rôle, réagissant au dit précédent. Cela renvoie à ce que l’énonciation de l’histoire a semé en lui, nous pouvons parler là de résonnances, voire d’écho, ou encore, d’une rencontre insolite avec ce qui était jusqu’alors indicible. Les retours individuels peuvent être divergents, ils sont tous uniques et inédits, dans l’idéal de l’AP, l’expression authentique du sujet parlant, c'est-à-dire le parlêtre.

 

Le narrateur du début devra vivre un long moment de frustration, comme moi, il est condamné au silence pendant cette deuxième phase, il ne peut pas réagir à ce qu’il entend et qui concerne son énonciation initiale. Il ne lui reste plus qu’à adopter une posture d’écoute, et lui sera alors conseillé de se laisser gagner par ce flux de paroles de l’autre, à propos de son histoire, ces retours langagiers qui témoignent de la place de chacun dans le groupe de professionnels.

 

Comme l’écrivait le talentueux et génial psychiatre Jean Oury : « Il s’agit de mettre en place des systèmes collectifs, et en même temps, préserver la dimension de singularité de chacun ». Il s’agit pour moi d’une bonne définition éthique de l’AP, telle que je la conçois.

 La troisième phase est un temps conclusif, analytique, hypothétique, fait d’échanges interactifs. Vu de l’extérieur, cela ressemble à une conversation, mais une conversation civilisée où chacun écoute l’autre, et où personne – y compris moi - ne monopolise la parole. C’est un temps d’échanges, de partage, un assouplissement de la règle, alors, le groupe se refonde, après la séparation symbolique des deux premiers moments. Il est temps aussi de traiter le réel de la situation, de se projeter dans un agir collectif, inaugurer par exemple, les bases d’un nouveau projet individuel pour un jeune, modifier – autant que faire se peut - des « petits bouts » de réel.

 Quoi qu’il en soit, de ces sessions, il en ressort toujours un savoir nouveau, un savoir insu qui se révèle et que le groupe peut s’approprier. C’est un temps instituant qui refonde l’institution. L’AP authentique permet de maintenir vivant et alerte l’appareil à penser et à inventer de chacun comme de tous.

Ces trois temps convoquent l’inconscient des sujets participants et celui, souvent évoqué, mais énigmatique et peu connu, l’inconscient groupal.

Leur point commun est l’écoute.

 

 Ecouter, c’est laisser toute sa place à l’autre, afin que sa parole prenne vie et sens.

 

Serge DIDELET, le 9/05/2013

 



[1] A l’origine, ce texte se voulait un préalable clarificateur, destiné à des éducateurs  intervenant dans le champ de la protection de l’enfance. Il connut ensuite diverses versions adaptées, pour des salariées de la petite enfance et travaillant en crèches, des éducateurs techniques travaillant avec des adultes handicapés, pour des aides soignantes travaillant en EHPAD, auprès de personnes âgées dépendantes. La version présente est la version initiale.

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